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Promesse d'une Aube

Roman dystopique

Editions Ex Aequo

Prologue

L’air est lourd, suffocant. L’espace manque entre les quatre murs de béton ; le plafond bas accentue la sensation d’oppression. Des sanglots résonnent parfois, vite étouffés. Certains se pressent les uns contre les autres, dans une tentative désespérée pour se rassurer. Personne ne parle. Ça ne sert plus à rien.

 

Soudain, la porte s’ouvre, dévoilant l’ombre d’un groupe ramassé et effrayant. Les enfermés reculent dans un mouvement instinctif, me dégageant la vue. Les arrivants sont cinq, des militaires à la carrure imposante qui dévisagent froidement les individus resserrés en une masse compacte. Et puis, l’un des hommes avance, menaçant. Il attire d’un coup sec l’un de mes compagnons et le projette au sol devant lui. Comme l’homme à terre se redresse et croise son regard, il gronde :

— Celui qui ose me regarder mérite la mort !

Sans plus d’explication, par le seul pouvoir que lui confère la puissance de ses armes, il assène un coup de pied au visage de sa victime, et enchaîne sans émotion apparente avec des frappes dont l’efficacité est démultipliée par ses rangers. Inconscient, le martyr est à présent soulevé par deux des militaires. La lame d’un couteau de combat luit et je sais sans l’ombre d’un doute que le bruit que j’entends alors est celui de la chair découpée, du sang qui gicle et de la vie qui s’enfuit d’un corps. Pourtant, aux seuls mots du tortionnaire, mes mains se sont posées sur mes yeux. Malgré l’horreur, j’obéis à l’injonction. Ne pas regarder, surtout ne pas regarder !

Devant moi, invisible, la masse s’agite, crie. La voix du bourreau menace à nouveau.

— Celui qui ose me regarder mérite la mort !

Encore cette phrase, ponctuée de coups, de plaintes, de suppliques, de bruits de corps qui tombent, de l’odeur ferreuse qui monte. Ma tête tourne, la pression de mes doigts sur mes paupières provoque des flashes, mes autres sens s’exacerbent. Tout en moi se tend vers ce que je devine. Muscles crispés, jambes flageolantes, je suis saisi d’un vertige nauséeux.

Soudain, une vague de froid me pénètre et le frisson qui dévale ma colonne vertébrale me tétanise un peu plus. Il est là, devant moi, je le sens, mais rien ne me fera ouvrir les yeux. Rien ne me fera baisser les bras.

Dans le silence qui s’installe et que je perçois avec horreur – je suis seul, ils sont tous morts –, il tourne autour de moi, son souffle sur ma nuque puis sur mes poignets.

— Ainsi donc, nous avons un joueur, exhale-t-il.

Il me frôle, fait durer la torture mentale, mais je sais, au fond de moi, qu’il ne me tuera pas tant que je n’aurai pas « vu ». Le silence m’entoure et l’angoisse étreint ma gorge. Mes pensées s’entrechoquent, sans que je puisse en saisir aucune. Il doit entendre ma respiration erratique.

Soudain, la pression de sa présence diminue, deux poignes de fer attrapent mes épaules et me tirent à l’extérieur, mes paumes toujours collées sur le visage. De l’air frais vient remplacer la moiteur et l’odeur poisseuse du sang.

 

Et puis, ils me poussent brutalement et je tombe en avant. Mes mains quittent mon visage pour amortir la chute. Par réflexe, mes paupières se soulèvent et dévoilent un pont immense posé au ras de l’eau. D’instinct, je sais que les hommes ne sont plus là. Ils ont tourné les talons parce que le pont s’est mis à vibrer puis à se balancer tandis que l’eau ondoie en se retirant. Mon corps se liquéfie en un amas de terreur. Je cherche désespérément une accroche alors que le sol tremble violemment, mais là, face à moi, le tablier de la passerelle ondule en larges sinusoïdes et arrache ses suspentes les unes après les autres. Et lorsque la vague tumultueuse franchit la travée, le mouvement me fait glisser…

 

Et tomber du lit.

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